Pourquoi nous avons tous raison de continuer à résister ?
Le deuxième tour des élections présidentielles approche et comme toujours ces dernières décennies, l’air devient encore plus difficile à respirer : On nous le dit, nous le répète, nous sommes nuls. Tout va mal et ce mal est français. Malaises sociaux, désorganisation, maltraitance, soupçons d’escroquerie, procès en incompétence, procès en intention, incapacité politique…. Les attaques, culturelles ou personnelles, vont bon train et laissent leurs traces dans nos consciences individuelles et collectives. Nombreux sont les éléments sensés nous démontrer nos incohérences à tous et nos incapacités à prendre en compte et en charge les grandes mutations actuelles, afin de préparer l’arrivée d’un nouveau Messie, qui restera en place 5 ans.
Dans ces constats d’échecs répétés, du point de vue français, Londres, Berlin, Madrid, et même la bonhomme Italie, semblent nous laisser sur la ligne de départ, comme une tortue concentrée sur sa salade dominicale, sa feuille de choux flétrie.
Vous y êtes allés, vous, à Cologne, récemment ?
Au hasard des vols et d’un repos bien mérité, j’ai marché. J’ai marché à Copenhague, Cologne, Londres, Madrid, pour revenir faire mes pas à Lyon avant de retrouver Paris. Marcher en ville, c’est devenu une nouvelle façon d’exister pour beaucoup d’entre nous. Nous sommes nombreux, les citadins des grandes agglomérations, à arpenter le bitume pour rejoindre nos rendez-vous. Pour ma part, j’effectue en moyenne une bonne dizaine de kilomètres par jour, au minimum. Je croise les rues et les visages, les autos et les motos, les boulangers et les « sdf », les syriens et les parisiens. Les banlieusards aussi, en strates depuis le centre des villes. Ces moments sont autant d’expériences urbaines et humaines que de kilomètres parcourus.
De Cologne, on a tous en tête la gare centrale. Le premier contact se fait avec elle. La Köln Hauptbhanhauf met en réseau les transports publics de la ville. Impressionnante de sous-sols commercialisés et animés en permanence. On se croirait dans une ville du sud, agitée et fiévreuse, loin des images classiques d’une Allemagne nordique : Organisée en vie nocturne, concentrée. Où les jeunes des différentes communautés viennent se croiser, se regarder, se jauger. La différence ici, par rapport à Marseille ou Toulon, c’est qu’il ne semble pas y avoir de sens commun. La cohésion parait improbable, impossible. La tension est et reste forte après les incivilités passées.
Je m’assoie sur un tabouret du kiosque qui sert des cafés à toute heure et à chaque fois, un vigile vient assurer mes arrières. Il se plante dans mon dos comme le ferait un militaire en poste. La foule passe par vagues. Je suis le seul, posé là, à minuit. Personne d’autre ne s’installe sur le tabouret pour boire un café en regardant les gens passer. C’est là que j’ai rencontré Anil, un allemand d’origine turque qui bosse à l’aéroport de Cologne. Il me demande si je viens pour faire la fête. Je ne comprends pas tout de suite. Cologne est devenue une destination internationale de clubbers, semble-t-il. Je découvre. Il décide de m’emmener pour une visite nocture. Anil n’a plus de permis. Sinon il ne serait pas passé par la gare centrale ce jour là. Ça ne le dérange pas. La rue, la gare, il aime ça. Il ne semble pas perturbé par les écarts que je perçois. Même, il en joue. En marchant, nous croisons des vieux, des jeunes, des étrangers de toutes nationalités. Anil plaisante avec les jeunes réfugiés syriens qui viennent nous accoster. Je ne comprends pas ce qui se dit, mais je comprends qu’il les déstabilise par ses réponses, ses questions, ses sourires. il me raconte ensuite que le risque lui plaît, qu’il aime les chahuter. Les jeunes regagnent leur cartons pour y passer probablement la nuit, nous partons sous leurs regards en coin. Ils ont perdu leur assurance et leur sourire. Je ne m’en sens pas vraiment rassuré.
Durant deux nuits, nous allons arpenter la ville, ses bars, ses boites, ses restaurants. Ensuite, pour prendre mon avion vers Londres, j’ai décidé de partir du centre à pied vers l’aéroport. Belle balade de 15 kms environ. Une façon de tracer une part de choix dans un gâteau urbain composé en strates. J’ai traversé les zones de l’hyper centre, celles des alentours. Les quartiers communautaires et les friches, les artères inhumaines. J’y ai découvert les bidonvilles, cerclés de bâches vertes qui empêchent les regards.
Cologne a été une surprise de taille. Je me souvenais d’une ville moyenne, plutôt bourgeoise, assez traditionnelle. Mais j’étais jeune. C’était il y a plus de trente ans. Aujourd’hui, cette ville m’a fait davantage l’effet d’être politiquement abandonnée. Pas au sens du discours, non. Au sens effectif du terme. Comme si les citoyens y étaient livrés à eux-mêmes . J’y ai ressenti fortement l’expression d’une absence de lien social. Un peu comme ce club gay dont les lumières et la sono viennent lécher les murs de la cathédrale les nuits de week-end. Un peu comme ces couples russes, engoncés dans leurs vêtements ultra-chers, descendant de leur voiture ultra-chère, qui croisent les réfugiés et les chômeurs, entre le marchepied jaune Lamborghini, rouge Ferrari, et l’hôtel de luxe. Drôle de bitume. Drôle de population. Drôle de juxtaposition.